2009 Voyage de JD
Notes de mon passage en Louisiane mi-octobre 2009
Jacques Durand
Tant que mon job et ma société me le permettront, je n’hésiterai pas à faire un détour vers la Louisiane francophone. Cette année comme l’année dernière j’ai pu profiter d’un déplacement en Californie pour revenir par la Nouvelle Orléans et les bayous.
Le paysage autour de Houma, que je découvre au coucher du soleil, est de loin bien moins perturbé que l’an passé. Rappelez-vous que l’an passé j’avais découvert la ville de Houma juste 6 semaines après l’ouragan Gustav. Les toits étaient alors partiellement recouvert de bâches bleues, et de nombreux arbres étaient soit couchés sur le bord des routes soit déjà débités en rondins.
Leland et Sally Crochet vous saluent toutes et tous, et vous remercient de prendre tant de peine à animer les relations avec leur pays. Sally ne sera pas très loquace, bloquée dans son lit suite à une opération du genou.
Arrivé en soirée de ce vendredi 23 octobre, je file au Jolly Inn pour y écouter de la musique Zydeco, et y manger des filets grillés de poulet avec une sauce cajun.
Le samedi 24 octobre, la route 90 me semble familière. La ligne de chemin de fer de marchandise qui la longe est active alors que l’an passé le trafic y était totalement interrompu.
Toujours autant de canne à sucre et la récolte bat son plein. Certains champs sont en brulots pour éliminer les restes et sucrer la terre. St Martinville est très calme en ce samedi. Il n’y a personne sous le chêne d’Evangéline.
Le chêne d’Evangéline à St-Martinville, au second plan, le bayou Teche.
Champ de canne à sucre entre Catahoula et St Martinville
Je décide de ne pas m’y attarder et de filer vers Breaux Bridge. Je reviendrai par là sur le chemin de mon retour.
Breaux Bridge fête ses 150 ans. L’histoire de la famille Breaux est liée de manière très intéressante à cette ville.
En 1799 Firmin Breaux construisit une passerelle au dessus du magnifique Bayou Teche. Cette passerelle était du type à suspension, faite de cordes et de planches. En 1818 Agricole Breaux, le fils de Firmin, remplaça la passerelle par un pont permettant le passage des bestiaux et des charrettes afin de faciliter le commerce qui se développait alors dans le village. Breaux Bridge fut officiellement reconnu comme commune lorsque Picou Breaux, la veuve d’origine acadienne de Agricole Breaux, dressa les plans de la ville et lança le développement immobilier en vendant des parcelles à d’autres acadiens.
La rue principale de Breaux Bridge...
..et le restaurant de Jacqueline
Les boutiques de la Rue du Pont à Breaux Bridge.
Le pont métallique de Breaux Bridge sur le bayou Teche. C’est le Landmark de la ville
Rue du pont se trouvent plusieurs bars restaurants, tous à noms français ou à consonance française. Tous ont un musicien live. Beaucoup de boutiques de brocante.
Un verre de Coca chez Jacqueline dont les murs de son café-restaurant sont décorés, ou plutôt garnis à l’excès, de tableaux représentant la France. Plusieurs tables sont occupées. Les mets sont soit de recette cajun soit de recette française. Beaucoup de photos ou de gravures sur Paris garnissent les murs. Un certain désordre règne au fond du restaurant. Parmi les photos, une photo de sablaise en coiffe me rappelle le passage de notre présidente Isabelle à Breaux Bridge. Elle nous avait parlé de cette photo.
Je discute avec Jacqueline mais aussi avec sa fille qui est née, oh surprise, à La Rochelle et qui est venue avec ses parents en Louisiane à l’âge de sept ans.
Retour par la cité de Henderson et la route qui longe le bayou Mercier, le bayou Benoit et les hautes digues qui protègent la paroisse des eaux du grand bassin de Atchafalaya. C’est le plus grand marécage de la Louisiane. Il s’étend entre Baton Rouge et Lafayette. Les levées sont impressionnantes par leur hauteur. Je me souviens avoir lu que des inondations terribles avaient eu lieu à Breaux Bridge en 1927. Ces digues auraient-elles été consolidées à cette époque ? En s’écartant de la route et en prenant l’un des chemins d’accès au sommet de la digue, on peut se faire une idée de l’étendue du bassin de Achafalaya, on découvre des bars-embarcadères où des bateaux à hélice proposent aux visiteurs une sortie vers les marais, ou "swamp", et découvrir peut-être des aligators.
Les marais du bassin de Atchafalaya
Vue du haut de la digue qui protège la plaine des crues, et qui longe le Bayou Benoit et la route 352
Retour à St-Martinville.
Au mémorial des acadiens je bavarde moitié en français moitié en anglais avec la dame qui garde le musée. Elle m’oriente alors vers une exposition faite de quatorze panneaux sur le commerce triangulaire et l’histoire de l’esclavage. C’est l’association "Les Anneaux de la Mémoire" de Nantes qui a obtenu cette exposition et fourni les panneaux
Elle me donne ensuite un papier sur un certain Charles Durand qui fut propriétaire de la plantation Oak and Pine Alley. Très riche, il était beaucoup trop excessif et original de l’avis de certains. Il fut l’un des plus riches propriétaires de Breaux Bridge. Il y menait grande vie.. La brochure en très mauvais français raconte le mariage extraordinaire des filles de ce Charles Durand J’ai repris et corrigé à votre intention cette brochure.
Les tombes de St Martinville pourraient bien être de sa famille.
Dimanche 25 octobre. Il me faut regagner l’aéroport Louis Amstrong. Mais une dernière virée est possible en ce matin ensoleillé.
De Thibaudaux à Vacherie et retour sur Napoléonville, le paysage garni de champs de canne change de nature. Le route suit une sorte de vallon boisé. Les villas qui s’échelonnent sans discontinuer ont de long drive-ways perpendiculaires à la route 24. Fleuries et décorées pour la fête approchante d’Halloween, elles ont leur boite-aux lettres à l’entrée de leur drive-way. Les noms d’origine française sont la majorité. J’aperçois des Broussard, des Thibaudeaux, et d’autres…
Vacherie où je passe à proximité de la plantation Oak Alley, si chère à Isabelle. Je ne m’y attarde pas.
Une rue au nom original près de Vacherie
"Napoléonville"
J’y passe pour faire un clin d’œil à Napoléon Vendée, ma ville natale.
A Thibaudaux (toujours sans e), je repars par la route LA-1 et découvre l’université de Nicholls State le long du bayou et croise l’avenue Audubon qui fait l’angle avec la LA-1 devant l’université. En face, le bayou est traversé par le Audubon Bridge.
Audubon Street Bridge devant l’université de Nicholls à Thibaudaux
La route LA-1 est magnifique. Le long de bayou à gauche de la route, de larges villas relativement neuves et bien entretenues donnent sur une pelouse américaine et un petit ponton. Plusieurs bars à crevettes ont leur embarcadère sur le Bayou. La route parait longue jusqu’à Raceland, mais la 90 est là juste après et permet le retour vers NO et l’aéroport.
En chemin on passe au dessus du bayou --- qui présente un large port et de nombreux bateaux.
Note sur les cimetières : J’ai relevé les noms suivants : Champagne, Tauzin, Thierot, Broussard, des Durand à StMartinville, Breaux, Boudreau, Pellerin, quelques Gaudin et quelques Thibaudeaux
[1] : Les inondations commencèrent par de très lourdes pluies tombées sur le basin du Mississipi Durant l’été 1926. Avant septembre, les réserves indiennes du Kansas et de l’Iowa étaient réduites à néant. Le jour de l’an de 1927, la rivière Cumberland déborda de ses digues à Nashville. On y enregistra une hauteur d’eaux de 56, 2 pieds, soit 17 mètres.
Le fleuve Mississipi perça ses levées à 145 endroits différents et inonda 27 000 miles carrés, soit environ 70 000 km2. Des hauteurs d’eau de plus de 30 pieds y étaient enregistrées, ou 10 mètres.. cette inondation causa plus de 400 millions de dollars et fit 246 victimes sur 7 états.
En mai 1927, il a pu être dit que le Mississipi avait une largeur de 60 miles, soit 97 km.
[2] : Histoire et Légende : Les noces Durand à la plantation de Oak & Pine Alley.
Charles Durand était un grand original selon sa petite fille, madame Stella Madère, qui se balançait dans sa chaise à bascule.
Il est venu de France peu avant 1820, déjà riche. A son arrivée ses actes furent remarquables. Il créa l’une des plus grandes plantations de la région et acheta une vingtaine d’esclaves. Il voulait beaucoup d’arbres autour de lui. Il décida d’avoir une longue allée de pins et de chênes de 5 kilomètres de long.
Il avait une famille de douze enfants. Sa femme et lui étaient convaincus que l’on doit tous profiter de ses richesses. Il disait qu’il fallait prendre du plaisir avec sa fortune. Lorsqu’il parlait assis devant son bureau massif, il imaginait toujours de nouveaux moyens de dépenser son argent.
La première femme de Charles mourut. Il était aussi extravagant dans le chagrin que dans toutes ses entreprises. Il était inconsolable et ne pouvait regarder la dépouille de sa femme sans penser à sa perte. Il ne se remarierait jamais. Il en fit le serment bien fort pour que tout le monde l’entende. Il allait tous les jours au cimetière en traversant le Bayou Teche, et s’agenouillait devant la tombe. Il y allait aussi bien par temps de pluie, par temps froid que par beau temps. Afin de perpétuer la mémoire de son chagrin, il passa commande à un artiste d’une statue de lui-même à genoux, mains croisées, en costume de pluie. A sa base on pouvait lire son serment gravé de ne jamais être infidèle à sa femme.
Moins d’une année plus tard, Charles Durand rencontra une jeune fille dont il tomba amoureux et qu’il épousa. Il en fut la risée de toute la ville. Tous les jeunes des environs faisaient ce que leurs aînés n’osaient pas faire. Ils se cachèrent dans le cimetière et jetèrent des pierres vers la statue pour en faire tomber la tête. L’un d’entre eux ajouta à l’inscription : « Ne mentez pas pareillement ».
Charles Durand n’y prêta pas attention. Son second mariage fut aussi calme et heureux que le premier. De nouveau, il naissait un enfant presque chaque année. Il y en eut douze, autant que de son premier mariage. Il disait ne pas vouloir être injuste. C’était un homme au sens délicat de la rectitude de ses actions.
Deux de ses filles acceptèrent les propositions de mariage de familles nées en Louisiane. Le Bayou Teche chercha quelque chose d’exceptionnel pour l’occasion. Le riche fermier assis à son bureau réfléchissait en concevant son projet. Il choisit des araignées comme base des décorations. On raconte qu’il importa par cargo de Cathay des énormes créatures, capables de faire des choses fantastiques.
Peu de temps avant les cérémonies, on lâcha les araignées dans les grands arbres de la longue allée. Les araignées travaillèrent à garnir les espaces entre les arbres de toiles délicates. Tous s’émerveillaient. Pleuvra-t-il ou non dans l’intervalle. S’il venait à pleuvoir, tous leurs efforts seraient perdus.
Il ne plut pas. Un matin, le fermier convoqua ses esclaves. Il leur donna des soufflets et de la poudre d’argent et d’or. Au-dessus de la longue toile d’araignées, ils étendirent un canapé de poudre. En dessous d’autres posaient des tapis pour recouvrir toute la longueur de 5 kilomètres. Ils placèrent au bout de l’allée un autel en plein air. Entre les arbres des tables étaient couvertes de vivres. Le repas fut servi par un grand nombre d’esclaves, ceux de la maison, ceux des champs, tous en tablier blanc et bien entraînés. De la musique était jouée en plusieurs points stratégiques. La noce était ouverte à tous ceux, français comme américains, qui montaient ou descendaient le Bayou Teche.
Plusieurs milliers de personnes assistèrent et témoignèrent de ce mariage. Enfin un bateau à roue remontant le bayou vint chercher les deux couples pour les emmener en voyage de noces. La foule les accompagna en tirant des pétards.
Charles Durand avait fait son premier grand geste.
Dans les derniers mois de sa vie, il parla du trésor qu’il avait amassé et caché sous les chênes ou sous les pins, ou même ailleurs. Ses enfants le questionnèrent, mais il ne répondit jamais. Plus tard l’un d’eux creusa pendant des mois mais sans succès.
La plantation et le moulin à sucre tombèrent en ruine. Une grange et quelques maisons d’esclaves subsistent encore, seules restes de la grandeur des Durand.